Chapitre 10

Cet accident était bizarre. Comment une branche si énorme avait-elle pu se casser alors qu’il n’y avait pas le moindre souffle de vent ? Menesis semblait convaincu de la responsabilité des spectres.

Cork se fit probablement la même réflexion, car il finit par hausser les épaules et tourner le dos à l’astrologue, mettant ainsi un terme à la dispute. Peu de temps après, le guerrier se décida à revêtir les pièces de son armure. Au moins, cet épisode avait réussi à le dessoûler…

Ils levèrent le camp en abandonnant sur place le panier détruit et la branche coupable. Gill dut se résoudre à reprendre sa place à la rame, puisque personne ne proposait de le remplacer. Peut-être était-ce mieux ainsi… Tant que ses compagnons restaient chacun à un bout du bateau, ils n’allaient pas se taper dessus ! Les premières heures de l’après-midi furent aussi monotones et silencieuses que la matinée. Gill ne pouvait rien faire d’autre qu’observer le paysage ; aussi ne s’en priva-t-il pas. Jamais il ne s’était aventuré aussi loin du palais. Tout lui semblait donc fascinant : les fermes monumentales, les forêts de joncs, les maisons bâties en forme de pont, les grands radeaux de transport, les pêcheurs à la flûte… Beaucoup de gens saluaient les voyageurs à la traversée des bourgs et des hameaux, et le garçon répondait à chaque fois, au point de finir par agacer l’irritable Cork.

— Si tu n’arrêtes pas de gigoter comme ça, je te balance à la flotte, menaça le guerrier.

— Les chats ont horreur de l’eau…, remarqua distraitement Menesis.

Gill n’en croyait pas ses oreilles. Lequel de ses compagnons était le plus fou ?

 

Une heure plus tard, la barque quittait le cours tranquille de la rivière pour s’aventurer sur l’Ouragane. Après quelques manœuvres et pas mal d’éclaboussures, Gill réussit à placer le bateau dans le sens du courant. Il n’eut plus alors qu’à garder le cap et put ainsi se reposer les bras.

Cette fois, l’aventure commençait pour de bon. En s’engageant sur le fleuve, les voyageurs avaient quitté le pays de Centaven. La région qu’ils traversaient maintenant était connue sous le nom du Champ-de-cailloux ; c’était en effet une succession de vallées rocheuses où les villages étaient fort rares. Puis viendraient les Ornières, territoire plus désertique encore, au centre duquel se trouvait le lac Foncé et les ruines de Massara. En attendant, les voyageurs devraient s’arranger pour accoster le moins souvent possible. Les rives de l’Ouragane étaient réputées dangereuses. À vrai dire, le milieu du fleuve ne valait guère mieux. Gill devait rester extrêmement vigilant, car les remous auraient eu vite fait de retourner l’embarcation. A cela s’ajoutaient les risques d’être éperonnés par un arbre mort ou coulés par un rocher roulant dans les profondeurs. L’Ouragane était une furie, un dragon grossi par une trentaine de rivières, et la seule façon d’y survivre était de s’y abandonner complètement. Certains prétendaient même que ses eaux étaient magiques. Un tas d’histoires couraient à ce propos, toutes plus étranges les unes que les autres ; comme personne n’avait jamais réussi à trouver la source du fleuve, elles disaient qu’il coulait depuis le monde des esprits, ce lieu de toutes les légendes. Des savants soutenaient qu’il jaillissait à l’emplacement exact de la capitale des Trolls souterrains. D’autres prétendaient qu’il grossirait et grossirait sans cesse, jusqu’à recouvrir complètement le monde de Dragonia. Gill y voyait surtout une énorme masse d’eau boueuse, véhiculant bon nombre de saletés. Rien de magique là-dedans !

Au bout de deux bonnes heures, Cork daigna enfin prendre la place du pauvre garçon. Sans doute le guerrier s’ennuyait-il trop pour rester encore les bras croisés ! En tout cas, cela permit à Gill de se détendre un peu et d’admirer les reliefs moussus du Champ-de-cailloux. Il suivit le vol des busards et des éperviers, surprit une harde de cerfs dans le soleil couchant et chercha à repérer les Gnomes et les Lutins décrits par tant de voyageurs.

Les Farfadets restèrent invisibles, mais le garçon n’en fut que moyennement déçu : si les bons génies de Dragonia préféraient se tenir loin des humains, il en serait peut-être de même des mauvais ! D’ailleurs, tout ce qu’on racontait sur les créatures des Ornières était-il vrai ? Peut-être que Massara n’était pas infesté par une armée de rats monstrueux, comme on le prétendait. Peut-être même que les fameux spectres du Coquillage n’existaient pas !

— Attention ! cria soudain Menesis. Une corde ! Gill tourna la tête juste à temps pour apercevoir l’énorme câble tendu à la surface du fleuve. Cork s’efforça de virer de bord, mais la barque allait trop vite. La coque heurta le filin avec violence, envoyant à l’eau tout ce qui n’était pas amarré. Gill coula comme une pierre.

La malédiction du coquillage
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